BOUES ROUGES : IMPACT REJETS EN MER. LA SCIENCE S’EXPRIME. PAR H. AUGIER.

15 Juin

Faux espoirs des filtres-presses.

Lecture entre les lignes et déclarations d’Altéo  » il apparaît que les prestations Recherches et Développements, propriété des filtres presses tout un ensemble a été externalisé faute pour Altéo de ne plus posséder les compétences en son sein ainsi que les moyens financiers.

Globalement les aides publique versées à Altéo par l’Agence de l’eau représente 16,7 millions d’euros par contre la propriété des brevets n’apparaît pas dans son patrimoine?

 Après des dizaines d’années de réflexion, de saccage et d’empoisonnement de la mer, face aussi à la réprobation générale grandissante, l’industriel a enfin mis en place des filtres presses présentés comme une avancée majeure pour résoudre le problème des rejets des boues rouges.

Il faut, en effet, reconnaître que cet appareillage constitue un progrès indéniable, sans pourtant résoudre le problème environnemental, ainsi que nous le verrons plus loin. De quoi s’agit-il exactement ?

Ce sont des unités de filtrage sous pression qui séparent deux fractions des boues rouges : la partie boueuse de la partie liquide. La fraction boueuse est déshydratée et le matériau sert alors à fabriquer un produit appelé de façon pompeuse « bauxaline ». Cette bauxaline aurait des débouchés dans le bâtiment et dans le recouvrement des routes. Il parait cependant que l’industriel a du mal à écouler ce produit, dont les excédents, sans cesse en augmentation, sont stockés à Mange-Garri. D’après l’industriel, la bauxaline serait dépourvue de produits toxiques.

Fier de sa trouvaille, l’industriel s’est alors engagé à arrêter tout rejet en mer au 31 décembre 2015. Nous disons bien « tout rejet », tel que cela est écrit dans la plaquette « Les as de Gardanne », publiée par Alteo, numéro spécial d’octobre 2012, Alteo s’y engageait sans retenue. On peut y lire, en effet, sans aucune ambiguïté, « L’usine de Gardanne s’est engagée à arrêter les résidus de bauxite en mer fin 2015.

La promesse sera tenue ». Cet engagement figure également dans l’arrêté préfectoral du 1er juillet 1996. Cet arrêté stipule bien en toutes lettres, « qu’Aluminium Péchiney » cessera tout rejet en mer le 31 décembre 2015.

Etre parjure ne semble pas émouvoir l’industriel ! En fait, la subtilité était de comprendre l’arrêt des résidus épais. En effet, comme il ne savait que faire des eaux sortant des filtres presses, il a trouvé une bonne solution de facilité en demandant l’autorisation de les rejeter en mer par la même canalisation et au même endroit que les boues rouges.

Mais, entre-temps avait été créé, en 2012, le Parc national des Calanques, obligeant l’industriel, selon la législation, à demander à celui-ci, sans vergogne, l’autorisation d’y rejeter ses filtrats pollués ! Nous y reviendrons dans un prochain chapitre.

Ainsi, depuis le premier janvier 2016, la fraction liquide, qui sort des filtres presses, est injectée au même endroit, à la même profondeur et par la même canalisation, dans les eaux du Parc national des Calanques.

L’industriel a l’outrecuidance de déclarer que ces eaux ne sont pas toxiques pour la vie marine ou si peu ! L’étude de l’ANSES* (décembre 2015) a démontré le contraire. En effet, cet organisme a mis en évidence, sans aucune contestation possible, la contamination de la chair des poissons testés, par les métaux lourds contenus dans les eaux industrielles. Cela signifie que les mécanismes naturels de protection de ces poissons (fèces, urine, hépatopancréas, etc.) ont été débordés.

Inventaire des polluants.

L’industriel lui-même a donné une liste des polluants contenus dans les effluents sortant des filtres presses ; inventaire qui a été complété par l’ANSES en 2015.

La liste de ces substances est impressionnante (82 polluants), autant que leur pouvoir toxique : soude (toxique), aluminium (toxique, perturbateur neurologique, perturbateur cellulaire), fer (perturbateur de la reproduction et de la croissance), arsenic (forte toxicité), vanadium (désordres respiratoires, digestifs, sanguins et neurologiques), titane (toxique pour le plancton), molybdène (perturbateur endocrinien), bore (toxique), chrome (toxique), sélénium (toxique), manganèse (toxique), plomb (saturnisme, perturbateur sanguin, dysfonctionnement reins, foie, système nerveux), cuivre (algicide, atteinte à la base des chaînes marines trophiques), zinc (perturbateur photosynthèse et respiration, cancérigène), antimoine (toxique, possibles lésions hépatiques, rénales et cardiaques), cadmium (maladie Itaï, déformation du squelette), étain (ravageur des parc d’aquaculture), uranium (toxique), lithium (effet possible sur la fonction rénale), nickel (toxique, perturbateur du développement larvaire), cobalt (toxique), argent (toxique sur les stades larvaires), mercure (névropathie, paralysie fonctionnelle, destruction des reins) phénols, 16 hydrocarbures aromatiques polycycliques (forte toxicité, dysfonctionnement cellulaire, cancérigènes), 7 polychlorobiphényles (réduisent l’immunité naturelle, cancérigènes), 7 dioxines et 10 furanes (seuil de toxicité très bas, dysfonctionnement hépatique, nerveux, endocrinien, cancérigènes), 6 composés benzéniques (aberrations chromosomiques, cancérigènes), 1 phtalate (possibles effets sur le foie et les reins, le système reproducteur mâle, possible perturbateur endocrinien), 4 alkylphénols (perturbateurs endocriniens) et 2 polybromodiphenyléthers (perturbateurs endocriniens), 3 organoétains (perturbation de la reproduction et du système immunitaire, malformations morphologiques. Leur utilisation dans les peintures antifoulings des coques de bateaux a eu des effets dévastateurs sur les parcs d’aquaculture des moules et des huîtres).

La réalité sur les quantités déversées.

La présentation, par l’industriel, des résultats de dépollution sous forme de tableau de pourcentages masque la réalité. Si on applique ces pourcentages aux volumes d’eau rejetés, comme l’a fait l’ANSES, on s’aperçoit que les quantités sont considérables. En effet, l’Agence fait état, en 2015, de rejets annuels évalués à 2880 tonnes pour l’aluminium, 26 tonnes pour le vanadium, 9 tonnes pour le titane, 4 tonnes pour l’arsenic et le molybdène, 700 kg pour le chrome, 30 kg pour le plomb, 8 kg pour le cadmium (p. 24 du rapport du 2 février 2015) !

Cet aspect fondamental n’est pas pris en compte !

Est-il vraiment nécessaire de réaliser des investigations molysmologiques et d’y consacrer un budget conséquent, connaissant la grande toxicité de ces substances et les quantités rejetées dans un milieu aussi sensible ? Il aurait été plus utile de consacrer ces budgets à la mise en place de traitement de dépollution performants permettant d’arrêter le rejet.

 D’ailleurs, si la charge polluante était négligeable, comme le prétend l’industriel, on peut se demander pourquoi on continue le rejet en mer ! Le recyclage de ces eaux pour la recharge des nappes phréatiques et l’irrigation permettrait d’éviter un gaspillage scandaleux de l’eau si précieuse dans la perspective du changement climatique qui a commencé.

Facteurs d’aggravation de la toxicité et de l’impact.

1/Nature de l’effluent.

 Les boues rouges avaient une densité supérieure à l’eau de mer, ce qui explique leur écoulement dans le canyon de Cassidaigne jusque vers les grands fonds. Par contre, la fraction liquide, qui a remplacé ces boues, a une densité plus faible que l’eau de mer.

Ces eaux ont donc tendance à remonter vers la surface et à être dispersées par les vents et les courants sur l’ensemble de la partie marine protégée du Parc national et au-delà. L’un de nous a eu la curiosité de poser la main à midi sur la partie de la canalisation terrestre qui est exposée au soleil brûlant de l’été : le métal était évidemment chaud ! La partie sous-marine de la canalisation parcourant plusieurs kilomètres avant d’arriver à la zone des 12-13 degrés, le refroidissement complet de l’eau à l’intérieur de la canalisation est impossible.

Ce qui veut dire qu’à la différence de densité avec l’eau de mer, s’ajoute pendant plusieurs mois, presque toute la journée, la différence de température entre l’eau rejetée et celle des fonds marins qui est autour.

Personne ne nous contredira si nous rappelons que cette eau polluée plus chaude n’aura pas le bon goût de stationner au fond, un principe élémentaire de physique la fera remonter !

D’autre part, un simple coup d’œil au régime des vents de la baie de Cassis montre que le vent d’est, le vent de sud-est, la brise de mer, le labé (vent de sud-ouest), le ricochet de la largade (ouest) et du mistral sur les îles et le Cap Canaille, se ligueront pour pousser les eaux polluées vers le littoral, c’est-à-dire dans la partie la plus riche des peuplements marins benthiques du Parc national des Calanques.

 Cet aspect n’est pas pris en compte !

 1/Phénomènes de cumul.

Il est un aspect qui n’a pas été abordé, ni pris en compte, par les études et pourtant capital pour toute investigation sérieuse. En effet, un grand nombre des polluants contenus dans ces effluents industriels sont peu ou pas biodégradables.

C’est le cas, notamment, des métaux et métalloïdes qui sont des éléments, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent pas, par définition, être décomposés en partie plus petites. C’est le cas aussi des PCB, dioxines, furanes, de certains hydrocarbures aromatiques, etc.

On a donc à faire à de nombreux produits quasi indestructibles. S’ils ne sont pas éliminés par les phénomènes naturels, ils vont donc avoir tendance à s’accumuler au fur et à mesure des arrivées journalières et continue de l’effluent, au débit horaire considérable (270 m3/heure) !

Ce phénomène augmente la gravité de l’impact toxique de ces eaux sur la flore et la faune du voisinage et, par dispersion, accroît la charge polluante des eaux marines du Parc national et de la Méditerranée.

 Cet aspect n’est pas pris en compte !

 Concentration le long des chaines alimentaires.

De même, il n’est pas tenu compte non plus de l’important phénomène de la concentration de nombreux polluants le long des chaînes alimentaires et des réseaux trophiques (Augier 2008).

C’est un gros reproche que l’on peut faire au groupe Alteo, mais aussi à de nombreuses investigations toxicologiques en France. A chaque passage d’un maillon à l’autre la concentration du produit augmente.

Ainsi un polluant peut se trouver à l’état de trace dans l’eau de mer et à des concentrations de plus en plus élevées depuis le phytoplancton jusqu’aux gros poissons, en passant par le zooplancton, les petits poissons et les moyens poissons, selon le schéma suivant :

Eau de mer → Phytoplancton → Zooplancton → Petits poissons planctonophages → Moyens poissons → Gros poissons → Thons → Humains.

Le drame des pêcheurs de Minamata, au Japon (Augier 2008), constitue un exemple édifiant. Les « experts » et les autorités dites responsables avaient donné leur autorisation à un industriel nippon pour un rejet en mer contenant du méthyl-mercure. Selon ces scientifiques, le rejet devait être dispersé sans problème et disparaitre dans les immensités océaniques. Il fallait compter sur le phénomène de la bioconcentration, mal connu à l’époque.

Le polluant, dosé à l’état de trace dans l’eau de mer, fut concentré le long des chaînes alimentaires, menant aux thons. En consommant les thons contaminés par le mercure, à tous les repas, les pêcheurs contractèrent la maladie dite de Minamata.

C’est une névropathie très sévère qui se solda par une centaine de morts et de paralysés à vie. Les bébés étaient contaminés par leur mère avant de naître, le mercure n’étant pas arrêté par la barrière du placenta. Tout le monde devrait avoir lu le livre de Gigon (1975) pour comprendre l’intensité de ce drame.

Heureusement, nous n’en sommes pas encore là en France. Mais nous pouvons porter témoignage ici que les dauphins (prédateurs en bout de chaines alimentaires), recueillis morts sur les rivages méditerranéens français, disséqués et analysés dans le laboratoire de l’un de nous (Henry Augier), présentaient des teneurs élevées en métaux lourds et notamment en mercure (Augier 1998, 2008, Augier et al. 1993, 1994, 1998).

Leur mort était probablement due à une névropathie semblable à celle des pêcheurs de Minamata et aggravée par d’autres troubles occasionnés par les autres polluants concentrés dans le foie, les reins et l’encéphale. Comme les pêcheurs de Minamata, ces dauphins consommaient des poissons à tous leurs repas.

 Cet aspect n’est pas pris en charge !

 Addition des charges polluantes.

Le rejet industriel d’Alteo n’est pas isolé. Il s’ajoute à la pollution de la Méditerranée (« bruit de fond »), à l’apport du fleuve Huveaune détourné artificiellement dans les calanques et aux rejets urbains massifs de l’agglomération marseillaise, dans la crique de Cortiou, insuffisamment traités par la station d’épuration « Géolide ».

Ainsi les poissons analysés par l’ANSES sont contaminés non seulement dans la zone d’influence du rejet industriel, mais également dans la zone témoin ! La somme de ces apports peut s’avérer suffisante pour faire franchir des seuils de toxicité irréversibles pour la flore et la faune marines.

 Cet aspect n’est pas pris en compte !

 Sensibilité particulière des formes juvéniles, interruption des cycles de vie.

 Les seuils de toxicité sont essentiellement estimés pour les organismes adultes. On néglige ainsi les stades juvéniles de très nombreuses espèces, dont le seuil de toxicité est beaucoup plus bas. Il s’agit des œufs, spores, larves, alevins, etc. La mort par intoxication de ces formes juvéniles tronque le cycle de vie et raréfie les populations adultes.

 L’oursin comestible (Paracentrotus lividus) constitue un exemple édifiant à ce sujet qui mérite d’être développé. Le cycle de développement de cet échinoderme rappelle un peu celui du papillon. Les gamètes émis par les mâles et les femelles donnent des œufs qui ne vont pas se développer directement en petits oursins.

Ils donnent naissance à une larve (le plutéus), comme les oeufs du papillon donnent une chenille. La chenille se métamorphose en papillon, de même que le plutéus se métamorphose en petit oursin.

Or, de nombreuses expériences toxicologiques ont montré que la larve de l’oursin était extrêmement sensible aux polluants métalliques, à des concentrations considérablement plus faibles que pour les adultes (Augier 1998, Augier et al. 1994, 1995, Kobayashi 1980 et 2004, Lee et Xu 1984, Parish et al. 2012, Warman et al. 1996).

La larve est donc irrémédiablement tuée et le cycle de développement de l’oursin interrompu. Un tel constat permet d’expliquer, en grande partie, la raréfaction des populations d’oursins le long du littoral de Marseille et des calanques

Or le cycle de vie de la plupart des espèces marines, y compris les poissons, les crustacés et les organismes du plancton, comporte, au début de leur existence, un tel stade d’extrême sensibilité à la pollution (Jezierska et al. 2008).

 Cet aspect n’est pas pris en compte !

 Note.

 La déclaration, par l’industriel, de l’arrêt du rejet en mer des boues rouges à la fin décembre 2015 suscita une grande satisfaction qui allait vite se transformer en colère et indignation à l’annonce que le déversement des boues rouges allait être remplacé par celui des effluents liquides pollués sortant des filtres presses !

L’industriel avait déjà empoisonné les grands fonds au large des calanques, il allait maintenant empoisonner les petits fonds et les eaux au cœur de la partie marine du Parc national.

L’impact sur la vie marine sera aussi important, sinon plus, que celui des boues rouges ! On a vu en effet que la toxicité de ce rejet était aggravée par un certain nombre de phénomènes liés aux propriétés de la sphère biologique à ce niveau. L’industriel, les autorités locales, nationales et gouvernementales sont restés sourds à ces appels de détresse et portent donc une lourde responsabilité.

Le traitement au dioxyde de carbone doit être suivi d’un procédé de finition.

 La mise en place prochaine d’une unité de traitement par le dioxyde de carbone constitue un effort incontestable de dépollution de l’effluent, mais non encore suffisant.

L’industriel annonce un abattement des valeurs concernant certains métaux lourds, métalloïdes et le pH. Il s’exprime, là encore, en termes de pourcentages et non en quantités réelles déversées en mer qui devraient rester élevées.

Par ailleurs ce procédé est reconnu, par l’industriel lui-même, comme n’étant pas très performant pour réduire les quantités de matières organiques en termes de DCO et de DBO5 (paramètres retenus par le Tribunal administratif de Marseille).

Aussi faut-il considérer que les remarques exprimées plus haut concernant les facteurs aggravants et leur impact restent valables sur les effluents traités au dioxyde de carbone.

Pour dépolluer entièrement ces effluents et arrêter le rejet dans le Parc national des Calanques, le traitement au dioxyde de carbone doit être suivi d’un traitement de finition « Pollution zéro ».

Les techniques existent et ont fait leurs preuves. Le problème majeur vient que leur coût est élevé et que l’industriel aura du mal à réunir un tel budget si on tient compte du résultat d’exploitation. Il se caractérise par des pertes financières chroniques pour les cinq dernières années, en dépit des nombreuses aides publiques, notamment de l’Agence de l’Eau.

L’achat du minerai de bauxite en Guinée et son transport plombent les finances. La situation est encore aggravée par la concurrence de six usines (bientôt neuf) récemment implantées en Guinée et qui bénéficient, non seulement du minerai sur place mais aussi d’une main d’œuvre bon marché.

Les calanques sont le seul Parc national au monde discréditées par un permis de polluer et d’empoisonner la flore et le faune marines. Il est temps d’arrêter un tel scandale !

 

Henry Augier, docteur d’Etat, professeur, directeur de laboratoire à la faculté de Luminy, de nombreux ouvrages sur ces sujets et président de l »‘Union Calanques Littoral.

 

 

 

 

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